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  • Roch WAMYTAN
  • Homme politique, membre de l'Union Calédonienne et du FLNKS, Signataire de l'accord de Nouméa en 1998, Président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes au Congrès de la Nouvelle-Calédonie
  • Homme politique, membre de l'Union Calédonienne et du FLNKS, Signataire de l'accord de Nouméa en 1998, Président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes au Congrès de la Nouvelle-Calédonie

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Citoyenneté calédonienne socle du destin commun
Présentation d'une loi de pays proposant le drapeau du FLNKS comme drapeau du Pays                   
   
Bilan des déplacements dans la région du président du Congrès (coopération interparlementaire)         
       

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22 février 2014 6 22 /02 /février /2014 16:38

sourcesdudroit2.gifLa problématique centrale reste la question de l’octroi du vote aux Kanak qui a fait l’objet de multiples applications allant d’une interdiction complète à un suffrage capacitaire, avant l’accession à la citoyenneté. Le poids démographique du peuple premier est l’occasion pour le droit français de revenir sur un des fondements de sa propre organisation constitutionnelle, avec l’instauration d’un double collège électoral, de l’élargissement aux populations kanak de ce droit de vote, et sous la double pression d’une immigration massive, et des événements politiques du début des années, d’un corps électoral gelé.

            Si ce dernier aspect de la problématique qui nous occupe peut être perçu comme une atteinte à l’égalité des citoyens devant le suffrage universel, le maintien d’une certaine cohésion au sein d’une République qui ne fait pas de distinction entre les ethnies en son sein amène celle-ci à s’extirper de ses grands principes. 

La question du droit de vote du peuple kanak (A) a évolué de la revendication d’un droit de suffrage exclusivement kanak (B) à un droit de vote ouvert aux « victimes de l’histoire » (C) puis à un droit de vote sous condition d’une durée de résidence (D) vers une citoyenneté locale( E).

 A-              La question de l’octroi du droit de vote au peuple kanak 

Le peuple  kanak et le droit de vote : la genèse de sa mise en minorité

            Historiquement, le déni au peuple kanak du droit de vote était traduit à « l’époque coloniale par l’exclusion de la qualité de citoyen ». La Constitution de 1946 proclame plus tard qu’elle « écarte tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire » et « garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés », tels que « proclamés par la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 ». Enfin, l’article 80 de cette Constitution disposait par ailleurs : « Tous les ressortissants des territoires d’outre-mer ont la qualité de citoyen », ce que l’article 82 prolongeait en soulignant «  les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ».

 2- L’exemple des commissions municipales et le droit de vote kanak

            Les commissions municipales furent créées « entre autres à Païta et à Canala, qui précédèrent l’installation du premier véritable statut communal de Nouméa ». Les règles générales relatives à ces commissions ont été posées par l’arrêté gubernatorial n° 383 du 7 avril 1888, et par l’arrêté n° 401 du même jour ; et les circonscriptions « correspondaient, en  général, à une localisation faible et éparse de la colonisation européenne ».

Mais la composition de ces commissions municipales est fixée d’une telle manière qu’on n’y trouve aucun représentant du peuple premier kanak, leur mise à l’écart étant juridiquement prévue. Ainsi, deux dispositions de l’arrêté n°401 du 7 avril 1888 indiquent « qu’il n’est nullement question de faire participer la population autochtone. En premier lieu, l’article 12 énonce que la liste des électeurs contient « le nom, domicile et qualification de chacun des inscrits ce qui suffit à éliminer les canaques puisqu’il n’y a pas d’état civil à leur intention… ». En second lieu, l’article 2 prévoit notamment que  « …l’élection des membres de la commission municipale a lieu (…) sur les listes dressées pour l’élection du conseil général », ce qui écarte toute possibilité pour le peuple premier kanak d’y être représenté.

Pourtant si l’impossibilité juridique de la représentation des populations kanak au sein des commissions municipales est réelle, tel n’est pas le cas des étrangers puisque la commission municipale comprenait « trois membres élus pour deux ans par un collège électoral dans lequel les étrangers étaient admis comme les citoyens français ».

Il en résulte ainsi que, tant en droit que dans les faits, il existait dès la mise en œuvre des mesures réglementaires relatives au découpage géographique en circonscriptions communales de la Nouvelle-Calédonie une coexistence des deux sociétés dont  les tentatives  d’adhérer aux mêmes objectifs ne vont être éprouvées qu’à la fin des années 80.

            Aussi, il fallut attendre « la loi-cadre du 23 juin 1956 dite loi Defferre pour que la démocratisation, notamment en termes de représentation électorale, soit réalisée dans les outre-mers » ; avec le décret d’application du 22 juillet 1957 qui va permettre à  la Nouvelle-Calédonie d’être représentée au Parlement de la République par deux députés et un sénateur.

3-Les débuts de la mise en minorité du peuple kanak          

            La Constitution de la Ve  République a été approuvée par référendum en Nouvelle-Calédonie par 98 % des suffrages exprimés à une époque où les Kanak étaient majoritaires en voix ; mais pas au sein des institutions des collectivités en raison du double collège ; la seule perspective pour la Nouvelle-Calédonie était « une autonomie croissante ».

            Mais en réalité, les années soixante marquent le point de départ du processus de minorisation électorale dans lequel est installé le peuple premier kanak depuis cette époque en raison de plusieurs facteurs.

            En premier lieu, « l’État reprend peu à peu de nombreuses compétences, et l’on s’éloigne de plus en plus de l’autonomie » ; et en second lieu, un « basculement historique  qui rend les Kanak minoritaires dans leur pays, situation acquise avec l’afflux de non-Calédoniens attirés en Nouvelle-Calédonie par ce qu’on a appelé le boum du nickel ». Ainsi « au moment même où la politique centralisatrice du Gouvernement de la République inquiète les Kanak soucieux d’avoir le pouvoir de conserver leur identité », ceux-ci sont plongés « dans une situation  où ils vont se trouver privés du moyen d’expression essentiel dans la démocratie qui les inclut désormais ; leur poids électoral est devenu insuffisant pour déterminer une majorité décisionnelle ». En d’autres termes, lorsque le peuple premier kanak est admis par la Constitution de 1946, après en avoir été écarté pendant près d’un siècle, à l’égalité républicaine, les Kanak  « ne tardent pas à s’en voir priver le bénéfice par l’affaiblissement du poids de leur suffrage par rapport aux autres communautés installées en Nouvelle-Calédonie ».

            Aussi,  si « certains se demandent par quel mystère la Nouvelle-Calédonie n’a pas, comme la plupart des possessions d’outre-mer de la France, accédé à l’indépendance par les voies naturelles de l’autodétermination… », c’est qu’ils oublient « cette particularité unique dans les colonisations françaises : en Nouvelle-Calédonie, les autochtones sont devenus minoritaires chez-eux ».

            Le droit égalitaire qui semblait devoir caractériser la période commençant en 1946, va donc être remis en question par une mise en minorité du peuple premier kanak qui le fait pencher de nouveau dans une représentation politique inégalitaire.

            À partir des années quatre-vingts c’est donc autour de la question d’abord du droit de suffrage essentiellement kanak, ensuite du même droit acquis « aux victimes de l’histoire » admis à Nainville-Les-Roches en 1983, et enfin au respect d’une durée de résidence suffisante, que va s’articuler l’évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie.

            Ce sujet, que le peuple kanak avait bien compris comme primordial pour lui, allait être porté à l’ONU par des États membres du Forum du Pacifique soutenant le FLNKS  qui vont dénoncer les « vagues successives d’immigration » constituant un phénomène volontaire ayant « fortement altéré la démographie du territoire ». Pour corroborer cette thèse, le mouvement de libération s’appuie sur les résolutions 2621 (XXV) et 35-118 de l’Assemblée générale dans lesquelles « celle-ci demande aux États-membres d’adopter des mesures pour décourager l’afflux systématique d’immigrants dans les territoires sous domination coloniale ».

            Viennent s’ajouter à cette disposition de droit international des mesures d’ordre interne prises par le premier ministre français, Pierre Messmer où on pouvait, notamment lire : «À long terme, un soulèvement nationaliste du peuple autochtone ne peut être évité que si les populations non originaires du Pacifique et les français européens forment la majorité démographique et il va sans dire que cela ne peut être accompli que par une migration systématique des femmes et des enfants et la création d’une classe moyenne de petites entreprises ».

            Alors qu’en 1946 le droit français, avait permis au peuple premier kanak d’accéder à la citoyenneté et ses déclinaisons en matière d’égalité et particulièrement, en lui octroyant le droit de vote quand il était majoritaire, en 1983, la Nouvelle-Calédonie comptait 145 368 habitants répartis de la manière suivante :

  • Kanak autochtones……61 870 soit 42,6 % de la population
  • Colons, européens……. 53 974 soit 37,1 %
  • Wallisiens et Futuniens ….12 174 soit 8,4  %
  • Tahitiens ………………5 570 soit 3,8  %
  • Indonésiens……………. 5 319  soit 3,7 %
  • Vanuatuans……………. 1 212 soit 0,7 %
  • Vietnamiens……………2 381 soit 1,6 %
  • Divers…………………. 2 868 soit 2,0 %

            C’est donc sur ces deux fondements et sur ces chiffres, que le FLNKS s’appuie pour affirmer qu’il y a bien eu une politique volontaire d’immigration pour le rendre minoritaire dans son propre pays, et par conséquent demande que le droit de vote revienne au seul peuple premier kanak pour bénéficier d’une représentation politique qu’il considère comme égalitaire.

            Cette exclusivité d’un vote kanak pour l’autodétermination, laquelle n’est pas prévue par le droit français au nom du principe d’égalité d’après 1946, conduit les représentants du peuple premier kanak, lors de la déclaration de Nainville-les-Roches du 12 juillet 1983, à reconsidérer cette position en acceptant « d’ouvrir le concept d’autodétermination à la participation de Calédoniens non Kanak, qualifiés de  victimes de l’histoire ».

 C- Un droit de vote ouvert aux « victimes de l’histoire »         

            L’ouverture aux « victimes de l’histoire » est une concession essentielle des représentants indépendantistes du peuple premier kanak, en même temps qu’elle contribue à forger une identité calédonienne, à partir du socle d’un vote kanak exclusif au nom d’une culture, d’une terre, d’une population que le droit français n’a pas su emmener vers la liberté.

            Néanmoins, d’un strict point de vue juridique, il ne nous semble pas y avoir de degré différent dans l’appréciation de la légalité des deux concepts, et un droit de vote kanak ou un droit de suffrage ouvert au « victimes de l’histoire » seraient susceptibles de porter atteinte de toute manière à l’égalité républicaine, synonyme d’inégalité pour le peuple premier kanak.

            Concernant un droit de vote ouvert aux victimes de l’histoire, ce concept se rapproche du mode électoral mauricien et qui avait en son temps été utilisé en Nouvelle-Calédonie pour la représentation des chefferies kanak au sein des municipalités.

            Ainsi, le système électoral mauricien « présente une originalité qui oscille entre impératifs d’une représentation nationale et revendication des identités communautaires » puisque « soixante-deux des soixante-dix députés mauriciens sont élus sur la base du scrutin uninominal à un tour… », et « les députés restants sont nommés sur la base de leur score et surtout de leur appartenance ethnique ».

            À partir de ce constat qui a dû être fait par les différentes parties, ce droit français opère une modification dans la façon d’appréhender la question du corps électoral appelé à être consulté pour un scrutin d’autodétermination : l’approche par la durée de résidence.

D- L’octroi du droit de vote sous condition d’une durée de résidence
suffisante :

            Les accords de Matignon avaient déjà fixé une restriction au droit de vote en écartant certains citoyens arrivés récemment en Nouvelle-Calédonie pour le scrutin d’autodétermination, d’une part, mais également pour les élections aux assemblées provinciales, d’autre part. (même si dans ce dernier cas, la promesse n’avait pas été tenue).

            Avec l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, l’article 188 de la loi organique statutaire du 19 mars 1999 « fixe essentiellement une condition de résidence de dix ans pour avoir la qualité de citoyen de Nouvelle-Calédonie ».            

            Ainsi, deux listes étaient constituées, une liste électorale spéciale « satisfaisant à la condition de résidence de dix ans dressée à partir de la liste électorale générale en vigueur de l’ensemble des électeurs (pour toutes les autres votations) et du tableau annexe des électeurs ne satisfaisant pas à la condition de résidence de dix ans et dès lors non admis à participer au scrutin provincial ». En pratique, « chaque année, le tableau annexe s’enrichit des nouveaux électeurs qui viennent d’arriver en Nouvelle-Calédonie et s’inscrivent sur la liste électorale générale, mais non sur la liste électorale spéciale ». Dans une telle interprétation, « le tableau annexe perd des électeurs qui viennent d’atteindre dix ans de résidence, et sont dès lors inscrits sur la liste électorale spéciale » ; d’où les concepts de corps électoral « glissant » ou « figé ».

            Certains auteurs semblent accorder peu d’importance au caractère « glissant » du corps électoral restreint pour l’élection du congrès et des assemblées de provinces et pense que « le caractère glissant du tableau annexe ne fera pas sentir ses effets avant 2008 ». Or, le fait de considérer un caractère glissant dont les effets ne seront notables qu’en 2008 pose déjà en lui-même la difficulté pour les indépendantistes kanak de laisser en l’état l’interprétation du Conseil constitutionnel sur l’article 188 de la loi organique modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999.

           En effet, comme le dit Jean-Yves Faberon, avec une interprétation « souple dite du processus du tableau glissant, au fur et à mesure que les années passent, de nouveaux électeurs atteignent la condition de dix ans de résidence, sortent du tableau annexe et sont inscrits sur la liste électorale spéciale « sans que cela soit limité dans le temps ». A contrario, « selon une  interprétation stricte du corps électoral « figé » ou « gelé », le tableau annexe est bloqué dans sa composition de 1998, année de la signature de l’accord de Nouméa : c’est le tableau des électeurs de Nouvelle-Calédonie non admis à participer au scrutin prévu pour 1998 par la loi référendaire de 1988 consécutive aux accords de Matignon qui posait déjà pour ce vote une condition de résidence de 10 ans ».

            Avec une augmentation de la population de la Nouvelle-Calédonie entre 1996 et 2009 de 50 000 habitants pour atteindre les 245 580 habitants, la question mérite d’être posée des conséquences d’un corps électoral ni « gelé », ni « glissant » si nous prenons le solde migratoire du recensement de 2009 avec un solde naturel de 85 % ; et un  solde migratoire apparent de 15 %. Ainsi entre 2004 et 2009 « 18 500 personnes nées hors de la Nouvelle-Calédonie s’y sont installées ; elles sont originaires de métropole pour la plupart (75,5 %), mais aussi de l’étranger (17,3 %), de Wallis et Futuna (4,9 %) ou de Polynésie française 
(2,3 %)
 », ce qui fait de la Nouvelle-Calédonie « un des rares pays de l’Océanie dont le solde migratoire est positif ».

            Si nous considérons que 34,4 % de la population de la Nouvelle-Calédonie a moins de 20 ans, et que sur ces 18 500 nouveaux habitants le reliquat soit 65,6 % pouvait composer un corps électoral ouvert, nous nous retrouvons avec un potentiel de 12 136 personnes susceptibles de voter.  

            Quelle est la proportion du peuple premier kanak dans les chiffres du dernier recensement de 2009, après celui intervenu en 2004 qui ne comportait pas de référence à l’ethnie ?

            Il résulte des chiffres du dernier recensement de 2009, que « 40,3 % des habitants de Nouvelle-Calédonie déclarent appartenir à la communauté kanak (99 100 personnes) », alors que « la deuxième communauté la plus représentée est celle des Européens : 29,2 % des déclarations, soit 71 700 personnes » ; et enfin « suivent les Wallisiens et Futuniens, avec
8,7 % (21 300 personnes)
 ».

            Si nous nous référons aux chiffres du recensement de 1983 où la Nouvelle-Calédonie comptait 145 368 habitants, un peu plus d’un quart de siècle plus tard, la proportion de Kanak dans la population totale diminue, passant de 42,6 % à 40,3 % même si en valeur absolue, celle-ci augmente d’un tiers : 99 100 pour 61 870 en 1983.

            En d’autres termes, dans l’immédiat, la croissance naturelle du peuple premier kanak s’avère insuffisante pour contrebalancer sa proportion dans la population totale, et un solde migratoire positif, et partant sa place dans le paysage institutionnel et politique de son propre pays, sauf pour celui-ci à se satisfaire de la situation politique des Aborigènes australiens ou des Maoris néo-zélandais, si le droit français n’avait pas pris de dispositions discriminatoires.

            Si en théorie, le peuple premier kanak, comme les citoyens de l’article 188 de la loi organique modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999, dispose d’un droit de vote préférentiel, il n’en demeure pas moins que malgré leur statut coutumier, certains Kanak sont inscrits sur le tableau annexe.

Le corps électoral figé : des Kanak, citoyens de statut coutumier non-inscrits

La commission Politique et citoyenneté du FLNKS et du Parti travailliste comme rappelé par Mme Madeleine Ounou, est « une commission qui essaye d’améliorer l’inscription des populations kanak sur la liste électorale spéciale dans chaque commune », qui « a vu le jour en mai 2009 dans le cadre de l’organisation mise en place dans le Sud après les élections provinciales et sur la base d’un travail commencé par des militants délégués représentant le FLNKS dans les commissions de contrôle des listes spéciales de Nouméa ».

L’objectif de cette commission « de tout mettre en œuvre pour que les premiers citoyens du Pays, le peuple Kanak, soient dans la situation de pouvoir exercer son droit de vote aux prochaines élections provinciales de 2014 et lors du référendum après 2014 », pose en lui-même la problématique des Kanak non-inscrits sur la liste spéciale. En effet, la commission découvre « en feuilletant les Tableaux Annexes (TA) en mairie de Nouméa, la présence de nombreux kanak » c'est-à-dire des « électeurs qui ne sont pas admis à voter aux élections provinciales », tout en se demandant « comment peut-on empêcher des Kanak de voter pour leur propre pays ? » La commission a ainsi relevé le nombre de « 1 870 dont 1 544 dans les 4 grandes communes du Sud », mais également des Kanak qui ne voteront pas en 2014 : « 126 à Lifou, 18 sur Houailou, 25 sur Maré, 16 à Ponérihouen ».

Pour faire entendre ses revendications, la commission a saisi au nom des électeurs kanak non-inscrits sur la liste spéciale, le tribunal de première instance de Nouméa, devant lequel elle a été déboutée, et a essuyé le même rejet devant la Cour de cassation. Après ces recours, motivés sur l’argument que « tous ces  électeurs kanak doivent pouvoir exercer leur droit à l’autodétermination réservé aux peuples colonisés », la commission a transmis « toutes les listes des électeurs kanak de 2011, à la Cour européenne des droits de l’homme ». 

             Par ailleurs, la commission a bien recensé « 4 445 électeurs nés en Nouvelle-Calédonie  », et « les 1 870 Kanak sont compris dans les 4 445 », de ce fait, « il ne reste donc que 3 020 électeurs qu’il s’agira de faire figurer sur la liste spéciale ». Mais si la commission préconise de vérifier que les 3 020 électeurs potentiels répondent bien aux conditions fixées par la loi organique modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie, elle considère néanmoins que « pour les 1 870 électeurs Kanak, le problème ne se pose pas de la même façon. Les Kanak sont de fait tous citoyens en tant que premier occupant du Pays, donc leur transfert sur la liste spéciale devrait se faire sans problème particulier ».

Le droit de vote kanak : un droit inutilisé     

Dans ses recherches ayant abouti à identifier les 1 870 électeurs non-inscrits sur la liste spéciale, la commission a eu à déplorer le fait « que beaucoup de personnes kanak ne sont pas encore inscrites sur la liste électorale ». La commission a ainsi relevé, parmi les raisons avancées, que « beaucoup pensent qu’aller s’inscrire sur la liste électorale, c’est faire comme les Blancs » ;  ou bien « d’autres disent, la politique ça ne m’intéresse pas, pourquoi prouver que je suis du Pays ? » ; ou encore « il faut apporter beaucoup de papiers qu’on n’a pas toujours ». À ces arguments, la commission rétorque que « quelles que soient les bonnes raisons que l’on peut avoir, il faut peut-être devenir conscient que, ne pas s’inscrire sur la liste électorale, c’est laisser les autres décider à notre place, c’est se mettre dans un statut de marginalisés qui existe encore mais que l’on combat, c’est être un étranger dans son propre pays ».

            Ces éléments indiquent que le droit de vote, accordé au peuple premier kanak en 1946 pour les premiers, et en 1957 pour la totalité, ne semble pas vraiment atteindre toutes les franges des électeurs kanak mêmes régulièrement inscrits. Aussi, les 1 870 électeurs kanak non-inscrits sur la liste spéciale pose la problématique plus globale du vote des électeurs kanak, ou plus précisément du phénomène d’abstention chez le peuple premier kanak dont on peut rapprocher des dispositions du projet de Constitution de Kanaky de 1987 qui prévoyait un vote obligatoire.

Le caractère inégalitaire de la restriction du droit de vote, dans le cas exclusif de la Nouvelle-Calédonie, est encore illustré par une décision toute récente du Conseil constitutionnel.  

Le Conseil, dans sa décision n°2012-279 QPC du 5 octobre 2012 sur le régime des gens du voyage, confirme la pratique de l’égalité républicaine de principe en matière de droit de vote. Le droit électoral inégalitaire en vigueur en Nouvelle-Calédonie a donc un caractère exceptionnel confirmé, et propre au contexte de décolonisation spécifique à ce pays.

Les mesures discriminatoires ne bénéficiant pas au seul peuple kanak sont d’une approche différente, par rapport à ce que nous venons d’examiner, puisque la question de la race est écartée, de même que celle de la religion, pour ne retenir que la seule référence à la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, dont il nous faut analyser les contours.

 E- La citoyenneté comme corollaire du droit de vote

            La citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie se caractérise par un droit inégalitaire réunissant le peuple premier kanak et les résidents.

Par rapport au particularisme de la citoyenneté calédonienne déterminée par le droit français, la citoyenneté « est le statut du national qui accède véritablement à la majorité politique, ayant l’âge requis par la loi et l’honorabilité du point de vue du droit pénal », et c’est « ce qui ouvre la voie à la participation à la vie politique (droits et devoirs) dans l’État ».

            De ces principes, la citoyenneté va recouvrer deux grandes catégories de droits individuels et politiques, d’une part, « les droits dits civiques, et politiques : notamment le droit de vote (historiquement fondateur de la citoyenneté), et les droits fondamentaux ou libertés publiques fondamentales qui sont le cœur même des valeurs républicaines » et d’autre part, « l’ensemble des droits sociaux-économiques et culturels, par définition variés et adaptables aux différentes situations ». Après « la citoyenneté retenue » de l’époque coloniale avec des « citoyens de seconde zone » dont était partie intégrante le peuple premier kanak, l’acquisition de la citoyenneté en 1946, et un droit de vote étendu à toute sa population en 1957 vont permettre à celui-ci d’être un citoyen à part entière.

En dépit d’une conception française universaliste de la citoyenneté, « la mise en place d’une citoyenneté différenciée en Nouvelle-Calédonie constitue une nouvelle dérogation en droit constitutionnel français ».

Mais cette dérogation ne constitue pas pour autant une nouveauté puisque c’est la citoyenneté européenne qui a remis en cause le principe d’unicité de la citoyenneté. De ce fait, « la constitution française a admis la simultanéité de deux types de citoyennetés » ; « la première, originaire, est basée sur la souveraineté nationale et induit la seconde, fondée sur les compétences transférées à l’Union ». Ainsi, « contrairement à ce qu’affirme le professeur Gohin, la citoyenneté calédonienne ne doit pas être considérée comme un « vecteur d’exclusion », et « la nécessité politique qui justifie son existence impose de se placer d’un point de vue local et non national comme le fait l’auteur ».

Pourtant, si ces interprétations ou conceptions de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie qui, rappelons-le ne concernent pas que le peuple premier kanak, peuvent constituer des entorses juridiques à la Constitution française, elles ne doivent pas faire oublier que ce peuple attend une décolonisation depuis 1946, qui n’a pas débuté en 1998.

Il nous semble difficile d’élaborer des analyses juridiques en évoquant les déclarations ou textes fondamentaux sur lesquels s’appuie le droit français pour déclarer ou non qu’un texte serait contraire ou pas au principe d’égalité, en utilisant des termes aussi forts que «  vecteur d’exclusion », faisant abstraction d’un contexte où le même droit d’exclusion dans une politique assimilationniste a été érigé en principe.

En d’autre termes, si nous sommes bien dans un État de droit, sans dénier la pertinence ou la réalité de certaines analyses, une interprétation juridique contextualisée qui ne se limiterait pas aux seules « entorses » au droit positif constitutionnel peut avoir pour conséquence de considérer les dispositions législatives prises comme un droit qui, sans le renier, accompagne son temps ; et il nous semble que la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie y participe.

Extraits tirés de la thèse de droit public de Léon Wamytan

 


Jean-Yves Faberon : L’identité kanak de la Nouvelle-Calédonie en droit,  in Jean-Yves Faberon (dir.), La Nouvelle-Calédonie pour l’intégration mélanésienne, op. cit., p. 140.

Guy Agniel,  De la collectivité humaine à la collectivité de droit commun…, op. cit., p. 43.

« Il sera complété par d’autres arrêtés locaux : arrêté du 27 juillet 1907 relatif à la fixation du nombre des membres des commissions municipales, arrêté du 21 mars 1935 relatif à la fixation du nombre des commissions municipales ». Ibid.  

BONC 1888, p. 231 à 250

Guy Agniel, De la collectivité humaine à la collectivité de droit commun…, op. cit.

Ibid.

Ibid.

« Qu’on songe que dans l’autre grande colonie française de peuplement, l’Algérie, il y avait en 1962 un million d’Européens, mais aussi 10 millions d’indigènes ! Dès lors l’issue était inéluctable ». Ibid.

Ibid.

Lettre datée du 2 octobre 1986, adressée au président de l’Assemblée générale par le représentant permanent de Fidji auprès de l’organisation des Nations unies, Bwenando, Nouméa, 1986.

Ibid.

Cf annexe n° 7.

Ibid.

Jean-Yves Faberon : L’identité kanak de la Nouvelle-Calédonie en droit,  in Jean-Yves Faberon (dir.), La Nouvelle-Calédonie pour l’intégration mélanésienne, op. cit., p. 145.

Laurent Sermet : L’Île Maurice, in Destins des collectivités politiques d’Océanie, Volume 1, Théories et pratiques, sous la direction de Jean-Yves Faberon, Viviane Fayaud et Jean-Marc Regnault, op. cit., p. 156-164.

Cette approche a été utilisée dans le cadre de l’accession à l’indépendance du territoire des Afars et des Issas où une durée de résidence avait été également prévue en 1976.

Jean-Yves Faberon : La révision constitutionnelle du 24 février 2007 sur le corps électoral de Nouvelle-Calédonie, Revue française de droit administratif, 2007.

Ibid.

Jean-Eric Schoettl, Mise en œuvre de l’accord de Nouméa, AJDA, 1999, p. 332.

Voir les résultats du recensement de 2009 sur  http://www.isee.nc

Ibid.

Ce chiffre peut varier à la baisse ou à la hausse : car nous ne comptabilisons pas les 18-20 ans qui ont la capacité électorale, et pour  ne prendre que les chiffres concernant les personnes rentrées entre le 1er janvier 2004 et le 1er janvier 2009 pour tenir compte des délais de domiciliation dans une commune pour pouvoir s’inscrire sur les listes électorales fixées à  mois.

Voir les résultats du recensement arrêtés à la date du 27 juillet 2009 sur  http://www.isee.nc

En 2011, la commission est devenue commission du FLNKS, validée par le bureau politique du front et étendue au parti travailliste, Mme Madeleine Ounou est une responsable de ladite commission.   

Ibid.     

Charles Cadoux : Considération générales, in Destins des collectivités politiques d’Océanie, Volume 1, Théories et pratiques, sous la direction de Jean-Yves Faberon, Viviane Fayaud et Jean-Marc Regnault, op. cit.,
p. 125-127.

Ibid.

Carine  Gindre-David : Essai sur la loi de pays calédonienne, la dualité de la source législative dans l’Etat unitaire français, l’Harmattan, 2009, p. 29.

« Avec cette citoyenneté européenne, « des ressortissants des pays membres de l’Union européenne jouissent de droits particuliers sur le territoire français ». Ibid.              

Ibid. 

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