Thème : Influence du MSG sur le mouvement d’émancipation kanak
R.WAMYTAN ancien président du GFLM 2001-2003
Excellence
Permettez moi tout d’abord de remercier le pays hôte, le Vanuatu, son peuple et son gouvernement ainsi que la présidence et le secrétariat du groupe de fer de lance mélanésien d’avoir invité les représentants du FLNKS à participer à ce symposium marquant l’ouverture des célébrations du 25ième anniversaire de la création du groupe du fer de lance mélanésien. Je voudrais aussi saluer l’ensemble des autorités et personnalités présentes à ce symposium.
Au nom du peuple Kanak et au nom du FLNKS représentant les droits légitimes et inaliénables de ce peuple colonisé de la Nouvelle Calédonie/ Kanaky, je voudrais sincèrement remercier le Groupe du fer de lance mélanésien, les pays membres et leurs autorités pour le rôle fondamental joué depuis 25 ans au niveau d’un soutien actif et indéfectible dans le combat du peuple Kanak pour son indépendance.
Il faut nous rappeler que le Groupe du fer de lance mélanésien a été crée principalement pour ce soutien à un peuple frère mélanésien encore sous domination coloniale française alors que la grande majorité des pays mélanésiens accédaient à l’indépendance les uns après les autres à partir des années 1970. Cette volonté s’est concrétisée notamment au cours de la réunion informelle de Goroka (PNG) en 1986 insistant sur une commune solidarité pour faire avancer les questions régionales d’intérêt commun y compris la cause du FLNKS pour l’indépendance politique en Nouvelle Calédonie.
Ainsi comme le souligne le rapport annuel du GFLM de 2010, « le MSG prend son origine d’une vision soutenue par un fort désir politique de se battre pour l’entière décolonisation et la liberté des pays et des territoires de la Mélanésie encore colonisés, en développant une plus forte identité culturelle, politiques sociale et économique et un lien entre les communautés de la Mélanésie ». Le premier ministre Walter LINI ajoutera : « que le Vanuatu ne sera entièrement libre que lorsque l’ensemble de la Mélanésie sera libre »
Il est indéniable de constater que sans ce soutien, le rapport de force politique inégal face au colonialisme français n’aurait pas permis au peuple Kanak d’exprimer sa revendication nationaliste au niveau régional et international, sa parole aurait été étouffée et rendue inaudible. Grâce à ce soutien des avancées significatives importantes ont été obtenues et j’en citerai quelque unes : la réinscription de la nouvelle Calédonie sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU en 1986, par la résolution 41/41 du 2 décembre 1986, le statut de membre à part entière accordée au FLNKS au sein du GFLM lui permettant ainsi d’assumer la présidence de l’organisation entre 2001 et 2003 puis cette année 2013 pour deux ans.
Cette reconnaissance de fait du statut du FLNKS comme Mouvement de Libération Nationale (MLN)au sens de l’ONU c’est dire que ce mouvement de libération a la capacité de représenter le peuple Kanak, peut être considérée comme un acte politique majeur de la part des pays mélanésiens. En effet dès sa création en 1984, les pays mélanésiens ont considéré que le FLNKS représentait le peuple kanak dont la personnalité juridique était jusqu’alors, niée car englobée dans celle de l’Etat colonisateur. Et même s’il n’y a pas eu de résolution de l’ONU reconnaissant le FLNKS comme représentant le peuple colonisé de Nouvelle Calédonie, l’ONU a acté une reconnaissance de fait du statut de MLN pour le FLNKS à partir du moment où le GFLM reconnaissait le FLNKS comme représentant du peuple Kanak colonisé.
Dans le même ordre d’idée, il convient de noter l’admission du FLNKS comme membre observateur au sein du mouvement des pays non alignés. Le GFLM a toujours laissé le FLNKS dirigé sa lutte en interne en le soutenant à l’extérieur. Même si des doutes ou interrogations concernant la stratégie suivie par le FLNKS ont vu le jours avec la signature des accords de Matignon en 1988 et de Nouméa en 1998, le GFLM a fait entière confiance au FLNKS pour conduire sa lutte. Enfin année après année, le GFLM a constamment oeuvré pour associer au mieux le FLNKS dans les programmes et actions arrêtés pour les pays membres, et ce malgré un handicap du FLNKS : le manque de moyens institutionnels, et financiers pour faire face à la charge inhérente à son statut de membre à part entière de l’organisation régionale. Mais sans jamais se départir de sa responsabilité, le GFLM a toujours assuré avec ténacité et régularité le suivi de l’application des accords politiques tout en défendant les intérêts du FLNKS au sein de l’ONU, du Forum et du NAM.
Les forces en présence dans le pacifique
Le processus de l’accord de Nouméa signé 1998 a ouvert un processus qui engage les signataires dont le FLNKS sur une période de 15 ans devant déboucher sur une consultation référendaire pour l’accession du pays à l’indépendance. Cette consultation peut être organisée à partir des élections de mai 2014 si une majorité de 3/5 du congrès le décide. Sinon l’Etat français organise la consultation en 2018, puis en 2020 et 2022 si le résultat ne débouche pas sur l’accession à la pleine souveraineté.
Ce qui signifie que le chemin vers l’indépendance est encore long et semé d’embûches. Le principal obstacle est certainement la politique menée par l’Etat Français en tant que grande ou moyenne puissance dans cette partie de l’Océanie. Toute la politique menée par l’autorité de tutelle de la Nouvelle Calédonie, démontre que cet Etat défend avant tout ses propres intérêts dans le concert des grandes puissances présentes dans la région Asie/ pacifique.
Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux discours des partis français, de droite ou de gauche qui se succèdent au pouvoir en France. Ils insistent régulièrement sur les mêmes thèmes qui peuvent se résumer par le principe de : « la ligne rouge de l’indépendance interdite » car les outremers sont une chance pour la république française. Sont ainsi énoncés en résumé les mots d’ordre suivant : rendre aux outre- mer la place qu’ils méritent dans la République, valoriser l’étendue de son espace francophone, sa ZEE (zone économique exclusive) doit considérée comme une immense richesse pour la France et pour l’Europe, d’où la bataille entreprise à l’ONU pour la possession des ilots Mathew et Hunter, revendiquée par le Vanuatu. Ainsi grâce à son outre mer, la France rayonne dans le monde en tant que deuxième puissance maritime (90% de cette puissance lui sont données par l’outre mer et notamment les territoires du pacifique).
Le colloque organisé par le sénat français le 17 janvier 2013 à Paris confirme de nouveau l’intérêt pour la France sur ses territoires français du pacifique. Il est désormais admis que le Pacifique est devenu le centre de la croissance mondiale, muni d’un potentiel considérable pouvant relever les défis du 21ième siècle (énergie, matières premières, nourriture). L’avenir est désormais tourné vers les exploitations des ressources marines qui deviennent de forts vecteurs d’emploi par la biodiversité, les ressources halieutiques, l’exploitation des terres rares (permettant d’extraire les métaux rares entrant dans la fabrication des ordinateurs, tablettes, Smartphones, lasers, panneaux photovoltaïques, radars, missile). Et le colloque préconise ainsi de défendre dans cette partie du monde les intérêts supérieurs de la France en lien avec les entreprises françaises publiques et privées dont par exemple la compagnie pétrolière TOTAL en lien avec les projets de gaz en Papouasie Nouvelle Guinée ou celles opérant déjà en Nouvelle Calédonie et Polynésie française. La France défend aussi ses intérêts en se servant des territoires français comme tête de pont ou basse arrière de la France et de l’Europe.
Le mot d’ordre devient ainsi ne pas brader les intérêts français face à deux géants qui se disputent l’influence dans notre régions : les USA et la Chine. Elle fait tout pour affirmer sa présence par le biais de ses territoires qui deviennent ainsi des fers de lance de son action.
Avec l’’élection du président Obama en 2008 et sa réélection le 6 novembre 2012, le président américain a fait de l’Asie Pacifique la pièce maitresse, le pivot de sa diplomatie après une décennie de conflits en Irak et Afghanistan, il considère que la région Pacifique est le nouveau moteur de la croissance mondiale. Sa première visite après sa réélection a d’ailleurs été réservée à un pays de l’Asie, la Birmanie et le président OBAMA revendique sans cesse sa part d’océanité (originaire d’Océanie) du fait qu’il est né à Hawaï.
Pour sa part la Chine, qui vient de porter Xi JINPING à sa tête, en tant que secrétaire général du parti communiste chinois a clairement affirmé sa volonté d’afficher sa prépondérance politique, militaire, économique et sa souveraineté sur un ensemble d’île et d’îlots de la zone et dans la mer de Chine. Beaucoup de pays de cette zone dépendent de cette super puissance économique et financière pour leur avenir et effectivement elle a favorisé l’émergence économique pour beaucoup d’entre eux. Les deux grandes puissances rivales s’affrontent économiquement et pour le moment pacifiquement, dans le Pacifique occidental, c'est-à-dire, notre région.
Les pays de la zone sont partagés face à ces deux géants et la tendance générale est de se tourner vers les USA pour se protéger et vers la Chine pour se développer L'Amérique, bien entendu, a répondu présent. Elle estime qu'elle joue son statut de puissance numéro 1 dans le Pacifique, car c'est là que sont les marchés de demain, c'est là qu'est la croissance d'aujourd'hui. Bref, c'est là que se trouve le plus grand potentiel de développement économique sur la planète. Elle a donc renforcé ses alliances militaires dans le Pacifique, et la Chine y voit une volonté de la contenir, d'endiguer sa montée en puissance. Bref, elle y voit une attitude hostile, et l'on ne peut écarter l'éventualité d'un affrontement, même très localisé. C'est toute l'ambiguïté de la relation sino-américaine, mélange d'interdépendance et de rivalité stratégique
De son coté la France a redéployé ses moyens militaires vers la Nouvelle Calédonie en y plaçant son centre de commandement du Pacifique, elle tente ainsi se placer au mieux pour peser dans cette région du monde. Elle considère les états insulaires et plus particulièrement les pays mélanésiens comme une « menace » pour la stabilité de la région suivant la théorie du « trou noir » développé par un chercheur français Mr DOUMENGE qui décrit l’arc mélanésien comme l’arc des crises. Elle se place ainsi comme l’intermédiaire obligé pour le bien des populations face à l’instabilité politique, aux risques environnementaux, au terrorisme et au pillage des ressources marines.
Au niveau de sa stratégie politique sur ses territoires qu’elle considère comme des fers de lance de sa politique océanienne se sera la ligne rouge de l’indépendance interdite. Elle se situe dans l’esprit de ce que disait l’ancien président de la république française François Mitterrand « l’indépendance jamais, au pire la partition » Pour se faire, elle poursuit sa politique d’immigration de nationaux français au mépris des directives de l’ONU, elle tente de transposer dans ses territoires du Pacifique, le système de la France Afrique , elle brandit le spectre de la partition de la kanaky, elle assure la main mise sur la ZEE (zone économique exclusive) et ses ressources, elle évoque enfin la possibilité pour l’Etat de reprendre la compétence sur la gestion des ressources naturelles, notamment en ce qui concerne les « terres rares ». Toutes ces stratégies n’obéissant qu’au seul principe de faire en sorte que l’indépendance ne soit plus une option viable pour ceux qui la défendent.
Comme elle n’a pas l’intention de se retirer de cette région, la France continuera ses manœuvres en tout genre pour renforcer sa présence et sa légitimité par des alliances militaires et autres avec les pays régionaux, en mettant en avant le principe de non ingérence entre pays amis (cf discours de l’ambassadeur de France à Fidji le 14 juillet 2012 ) par la manipulation des populations, les assassinats de leaders, et au niveau économique le maintien des territoires dans une situation d’assistanat par l’immigration ciblée et choisie, la défiscalisation à outrance, les transferts financiers et l’indexation des salaires des fonctionnaires, tous ces éléments qui contribuent à créer une bulle artificielle où se développe une croissance factice avec de hauts revenus, une vie chère et de fortes inégalités sociales.
Que Faire ?
Le FLNKS s’est donné du temps au temps pour construire et atteindre son indépendance, des résultats importants ont été obtenus, mais il s’est fait rattrapé par la mondialisation. A y regarder de plus près, la Nouvelle Calédonie est comme dans une trappe dans laquelle la France l’enferme de plus en plus au nom des intérêts supérieurs de la Nation.
Il est donc nécessaire de trouver la bonne porte de sortie pour contrer cette stratégie. Notamment par un renforcement de la place du FLNKS au sein du GFLM, il sera ainsi hors de question pour le moment de céder sa place au gouvernement de la Nouvelle Calédonie car ce serait à coup sur faire entrer la France dans le GFLM suivant le principe du « cheval de Troie ».
Une autre option pour contourner la stratégie d’enfermement de la France serait d’obtenir de l’ONU soit un statut d’observateur pour le FLNKS ou que le FLNKS soit reconnu officiellement comme Mouvement de libération nationale.
Par ailleurs il est nécessaire que le GFLM continue de porter la parole du FLNKS au Forum des Iles du Pacifique, au mouvement des pays non alignés et à l’ONU. De son coté, le FLNKS par ses représentants institutionnels en Kanaky devra redynamiser le partenariat avec le GFLM par la formation des cadres, la coopération économique et commerciale, le développement des échanges...
Enfin il serait temps qu’à l’occasion des 25 ans de la création de notre organisation régionale, nous puissions ensemble entamer le vaste chantier de la construction mélanésienne en se donnant pour objectif des prochaines 25 années, la mise en place de la Fédération des Etats mélanésiens regroupant la vaste Mélanésie de nos ancêtres de Timor et West Papua au nord à Vanuatu et Kanaky au sud. Le peuple kanak est prêt à s’associer à ce travail titanesque avec vous ensemble afin que notre parole à tous puisse être entendue dans le concert des nations.
Je vous remercie.
R.WAMYTAN